J’ai eu beau lire et relire ce qui se sait, s'écrit, se dit de Pétra, de la Jordanie, puis de l'Asie Mineure et de l'Arabie, de l'Egypte et de la Perse… beau réviser Philon et ses Merveilles, me préparer, m'attendre ou ne m’attendre à rien plutôt.
Rien n'y fait !
La secousse est là.
Malgré tout.
Terrible.
Malgré ces préalables et ces noms dont on apprend à s'imprégner. Malgré ces sons, triés, scindés, pesés… comme ces cris de croisés qu’on mêle à des prières de Sarrasins, comme ces peuples qui passent et qui s'assaillent, ou ceux qui bâtissent, se défendent ou qui voyagent et se répandent… ou comme le son des pierres que l'on taille et que le vent s'apprête à défaire.
Avions-nous même eu le temps de nous parler, de parler ? De Damas et d'Amman, de Memphis, du Nil et du Jourdain ? De parler de forteresses, des points de vue de l'histoire et de ses hommes ? De Saladin, Séthi, Soliman et Constantin, de Saint Paul et de Mahomet, de Moïse ? De ces rois, des tyrans, rhéteurs ou élus, de leurs vainqueurs, parfois de quelques reines ou de quelques empereurs, et de ces armées de déçus ?
Pour accéder à Pétra, il faut d'abord quitter puis s'extraire d'un enfer fait de pierre et de sel et fouler des sols où des saints sont passés et longer le pied de silences entiers dressés en murailles – des pour combattre, des pour barrer – et puis se perdre un temps dans un désert de sables et d'horizons ouverts sur l'infini.
– Qu'est-ce qui t’amène et vous amène ici ?
Ici, assez vite, on s'attend à du désert et c'est l'eau qui vous cogne, modèle et qui vous congédie !
On s’absente, avant tout, à soi-même, le temps que durent les questions, que des choses se révèlent et nous tissent à l'espace, plus solides et plus justes.
Pétra… c’est un peu comme Chandernagor, Babylone, Alep ou Angkor, Samarkand ou Zanzibar ! Oulan-Bator, Bam ou Bagdad ! Lhassa, Leh, Pagan ou Mandalay ! Kaboul ou Boukhara ! Karakorum, Khartoum ou Carthage ! Saveh, Mogador ou Ségou ! Ouadâne ou Ouarzazate, Tamanrasset et Tombouctou, Ispahan... Des villes qu’on ne situe pas toujours bien, dont on ne sait même plus si elles existent ou non ou si elles appartiennent au passé, mais dont le nom nous hante d’une façon tellement précise, que de simplement les nommer, que de dire ces noms, de les entendre ou de le lire, trace en nous des lignes nouvelles, comme des drains, des sillons, vers un passé encore inconnu.
Et nous apprenons à rêver un peu plus ou plus loin.
Un peu mieux.
Nous apprenons à nous bâtir.
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À chaque instant, à Pétra, la lumière est plus riche des feux qu’elle allume, des pas qu’elle embrase et de tout ce qu’elle évite de dire ou d’effleurer.
Le vent la livre, la forme.
Mais c’est l’eau qui lave et qui finit.
Publié avec le concours du CRL, Centre Régional des Lettres
Midi-Pyrénées